Cette semaine, deux de nos dossiers étaient en lien avec la notion d’occupation véritablement rémunératrice.
Commençons par le premier dossier, celui de June (nom fictif). June recevait des prestations d’invalidité du RPC en raison d’un trouble bipolaire important. Elle présentait un long historique de troubles de la santé mentale ayant entraîné plusieurs hospitalisations. Lorsqu’elle ne présente aucun symptôme et que son état est stable, June est en mesure de travailler, mais sa maladie fait en sorte qu’il peut fluctuer très rapidement. June était une cliente très complexe avec qui j’avais beaucoup de difficulté à communiquer, en raison de son imprévisibilité et de sa tendance à s’égarer dans ses propos lorsque je lui posais une question.
Elle avait notamment décidé de cesser sa médication, parce qu’elle voulait être « normale » (c’est le mot qu’elle avait utilisé). Et qu’y a-t-il de plus « normal » que de faire partie intégrante de la société et d’occuper un emploi? June a donc postulé pour un emploi de concierge de relève. Or, peu de temps après son entrée en poste, elle a développé une névralgie sciatique et onze mois plus tard, elle a dû subir une opération à la colonne vertébrale. Cela ne l'a toutefois pas empêché de continuer à travailler. Puisqu’elle avait cessé sa médication, June vivait une période de manie et souhaitait poursuivre son travail malgré ses symptômes. Éventuellement, le PPIRPC a découvert que June occupait un emploi et, uniquement en raison du fait qu’elle obtenait une rémunération, ses prestations d’invalidité lui ont été retirées. Elle n’avait donc plus de revenus. Cet événement a fait en sorte que sa santé mentale s'est détériorée au point où elle a dû être hospitalisée de nouveau. Quelque temps après avoir recommencé la médication, June a retrouvé une certaine clarté d’esprit quant à sa situation.
Rappelons-nous que June présentait des problèmes tant psychologiques que physiques. Elle a contacté mon bureau. Je ne savais pas encore si j’allais devoir composer avec la version cohérente de June ou avec son côté plus éparpillé. Nous avons choisi de poursuivre le processus d’appel. On lui avait refusé une comparution devant le Tribunal. Je pense honnêtement que personne n’aurait voulu s’occuper de son dossier. Après tout, elle avait obtenu une rémunération pendant qu’elle touchait ses prestations d’invalidité et, à première vue, on aurait pu croire que le RPC avait eu raison de lui retirer ses prestations. Mais parfois, il est nécessaire de creuser un peu plus, de développer un lien avec la personne et de prendre le temps de comprendre ce qui s’est réellement passé. June était très bien entourée par sa famille. Sa soeur et sa fille (toutes deux prénommées Sally) m’ont beaucoup aidée à la comprendre.
Voilà pour ce qui est du contexte dans lequel cet appel a été effectué. À l’époque, lorsqu’on se présentait devant la Commission d'appel des pensions, le dossier était considéré comme un cas de « cessation de prestations ». Compte tenu des lois en place, le gouvernement n’était pas autorisé à renverser un statut d’invalidité ayant été accordé antérieurement. La seule décision que le Tribunal aurait à prendre était de savoir si le gouvernement avait réussi à prouver que June avait « retrouvé sa capacité de travailler ». C’est sur cette question que porterait le jugement. Lorsque j’ai parlé à la représentante du ministre pour la première fois, elle m’a dit que nous devrions d'abord présenter notre dossier, une affirmation que je savais fausse. En effet, je savais que June n'aurait pas à témoigner. Il en revenait entièrement au gouvernement de prouver qu'elle était en mesure de travailler, et tous les renseignements au dossier pris dans leur contexte indiquaient que ce n’était pas le cas. Le seul argument valable du gouvernement était que June touchait une rémunération. Je n'ai pas demandé à June de prendre la parole, car elle n'aurait pas été en mesure de gérer la situation. C’est donc sa fille, Sally, qui a parlé en son nom de manière très convaincante. Elle a brossé un portrait très clair de l’état de santé mentale de sa mère et de ses répercussions sur sa vie.
Vous vous demandez peut-être pourquoi je vous écris ce long texte.
Après tout, le but de cet article était d’établir ce qui constitue une occupation véritablement rémunératrice. Vous vous souvenez certainement de cette fameuse définition : « vous devez être régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». J'ai fait quelques recherches et, selon le Cadre d’évaluation de l’invalidité du Régime de pensions du Canada, le travail est considéré comme étant véritablement rémunérateur si la rémunération qu’il engendre est équivalente à plus de 12 fois le montant de la prestation du RPC. J’ai donc présenté ce document au Tribunal et j’ai déclaré que, dans le cas de June, le gouvernement ne respectait même pas ses propres lignes directrices en matière d’évaluation de l’invalidité.
Permettez-moi de revenir un peu en arrière. Dans le cadre de son emploi, June travaillait seule et à toute heure de la nuit. Elle travaillait de cette façon afin que personne ne puisse la voir et constater qu’elle n’y arrivait tout simplement pas, le tout dans un effort de mener une vie qui collait à sa définition de la « normalité ». Puisqu’elle travaillait sans supervision, ses difficultés passaient sous le radar. Aucun superviseur ne savait ce qui se passait « en réalité », et lorsque vient le moment de traiter un dossier lié au RPC, la réalité compte.
J’ai trouvé particulièrement ironique que la représentante du ministre affirme devant le Tribunal que le cadre d’évaluation de l’invalidité du RPC n’avait été créé qu’à titre indicatif et que le Tribunal n’était pas tenu de s’y plier. Le membre du Tribunal lui a répondu : « Êtes-vous en train de nous demander de ne pas suivre vos propres lignes directrices? » Au terme de l’audience, la décision fut rendue rapidement et les prestations de June furent rétablies.
L’autre dossier portant sur la notion d’occupation véritablement rémunératrice est celui d’une femme appelée Lila (nom fictif). Lila a reçu un diagnostic de sclérose en plaques cyclique. Depuis 2005, malgré son diagnostic, Lila occupait un emploi dans une école de sa région à titre de surveillante à la cafétéria et d’aide-enseignante dans une classe de prématernelle. Ses revenus étaient tout juste au-dessus du seuil de rémunération admissible, mais bien en deçà des revenus d’une occupation véritablement rémunératrice. Or, sa demande a été refusée parce qu’elle « travaillait » encore. Je dois vous avouer que cette décision m'a causé une grande frustration. Sérieusement? Le gouvernement utilise toute cette jolie terminologie comme « véritablement rémunératrice » et « rémunération admissible », mais il ne respecte même pas ses propres lignes directrices. On soutient que vous ne souffrez pas d’une invalidité, parce que l’arrêt Inclima stipule qu’une personne doit « tester sa capacité à travailler » et on refuse votre demande pour cette raison. On vous dit que vous « tentez de travailler dans la limite de vos capacités », mais vous n’êtes pas considéré comme invalide. Je trouvais la situation particulièrement frustrante en raison du fait que Lila occupait cet emploi conjointement avec une autre femme qui souffrait d’une invalidité et qui recevait des prestations du RPC. Il est aussi important de noter que Lila ne peut travailler que sept heures par semaine avant que n’apparaissent des symptômes de sa maladie comme la fatigue, le brouillard mental et la faiblesse musculaire. Malgré tout cela, et c’est tout à son honneur, Lila aime travailler, car le fait d’occuper un emploi est bénéfique pour sa santé mentale et elle souhaite contribuer à subvenir aux besoins de sa famille.
Ce billet de blogue avait pour objectif de clarifier la notion d’ « occupation véritablement rémunératrice ». Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte au moment de déterminer si une occupation est véritablement rémunératrice. Le montant de la rémunération en est un, certes, mais on doit également tenir compte du rendement, évaluer si vous occupez un emploi concurrentiel ou déterminer si l’entreprise pour laquelle vous travaillez est un employeur philanthropique. Il faut considérer toute une foule d’éléments.
Sur le site du Régime de pensions du Canada, on indique que vous pouvez gagner jusqu'à un certain montant par année sans perdre vos prestations d'invalidité. Pour l’année 2021, ce montant s’établissait à 6 100 $ (avant impôts). Dès que votre rémunération dépasse les 6 100 $ avant impôts, vous devez communiquer avec le Régime de pensions du Canada.
Pour plus de détails, consultez ce lien.
Bref, j’aimerais conclure en disant qu’il est évident que le Cadre d’évaluation de l’invalidité ne veut rien dire et que ses critères ne sont « qu’indicatifs ». Il s’agirait d’un système beaucoup plus efficace si le gouvernement respectait ses propres règles.
La CDRI évaluera votre situation et vous fournira, dans les plus brefs délais, une estimation de vos chances d’obtenir gain de cause.